Mon parcours : comme Alice dans les bois

      13 commentaires sur Mon parcours : comme Alice dans les bois

Il y a une phase souvent bien pire que celle du diagnostic, quand on a une maladie chronique invalidante. Pire aussi que ces longs mois voire année où une maladie s’installait dans notre vie sans qu’on l’ait sentie arriver. C’est ce que certains pourraient appeler l’acceptation. Acceptation du diagnostic, acceptation des effets de la maladie sur notre vie. C’est une forme de capitulation face aux besoins d’adaptations qui, au stade du diagnostic, on souvent déjà trop tardé.

Je vous ai raconté, dans le dernier article où j’expliquais mon parcours, qu’admettre que je ne pouvais pas continuer d’aller au travail, même à mi-temps, a été très difficile à accepter; mais j’ai fini par le faire, parce que tirer autant sur la corde physiquement avait fini par mettre vraiment ma santé en danger, parce que ma vie ne ressemblait plus à rien. Et la période qui a suivi, fin 2015 et 2016, a été très, très difficile.

À cette époque, je savais vers où j’allais, je savais ce que je voulais faire, j’avais un plan qui avançait tranquillement. J’étais indépendante depuis mes 19 ans, car j’avais travaillé en alternance. J’avais mon appartement, au bord d’une route, avec un tout petit jardin pour le Loup. Je voulais donc, ensuite, finir de passer mon permis et déménager plus loin de la ville, dans une petite maison. Il y en avait de moins chères que le loyer de mon appartement, pour peu qu’on ait une voiture. En 2015, un peu avant mon diagnostic, j’avais signé mon CDI. C’était bon, c’était le top départ!

Eh non. La fatigue, la galère, le diagnostic, le « va falloir vivre avec », l’arrêt de travail. On m’a annoncé que je n’allais pas aller mieux, j’ai essayé les deux traitements disponibles sur le marché pour lutter contre la somnolence, et ils ont été d’une aide bien mince… Et puis un jour, Neuro m’a renvoyé vers une autre neurologue, Neuro-bis, qui exerçait dans un centre hospitalier et qui pourrait peut-être me donner accès à une molécule expérimentale.

Je l’avais rencontrée pour la première fois en juillet 2015, un peu avant mon arrêt de travail, et elle m’avait dit qu’elle devait faire une polysomnographie elle aussi, malgré celle déjà faite par Neuro, pour présenter mon dossier à la commission pour l’accès au traitement. En discutant avec elle de ma grande difficulté à me détendre en milieu hospitalier, nous avions réussi à convenir qu’elle me ferait faire une polysomnographie à domicile, chez moi, plutôt que de refaire le même examen que la première fois, pour rien. En plus, c’était un moyen d’avoir une vue réelle de mon temps de sommeil naturel, sans le stress et l’inconfort de l’hôpital. Elle m’avait dit alors que je serai convoquée pour la pose de l’appareil, et qu’on ne ferait une polysomnographie en hospitalisation que si cet examen pratiqué à domicile plus ma première polysomno pratiquée par Neuro ne suffisait pas.

Une fois la décision de la mise en arrêt de travail prise, ce dernier traitement possible, c’est donc tout ce que j’attendais pour pouvoir reprendre. Parce que, oui : je voulais reprendre. J’aimais ce travail énormément, et l’audio-visuel, ce n’était pas qu’un simple travail. C’était une partie importante de ma vie, de mon identité. J’espérais donc rapidement recevoir une nouvelle convocation de Neuro-bis, pour pouvoir faire cet examen, accéder au traitement, qui, je l’espérais, pourrait peut-être me permettre de conduire, d’être assez en forme pour pouvoir au moins reprendre à temps partiel.

J’étais lucide, toutefois. Je savais que ces traitements n’étaient pas des médicaments faits pour nous soigner, mais des drogues, et qu’il y avait un prix à payer, comme je l’avais payé pour le Modiodal qui m’avait rendue malade, ou comme pour la Ritaline, qui, même si elle m’aidait un peu à me réveiller, avait beaucoup d’effets secondaires et me faisait m’épuiser à vitesse grand V. Je me disais que le plus important, ce n’était pas de me défoncer avec ces cachets au point de pouvoir mener une vie normale, car je savais que ce serait rêver; mais que si ils pouvaient constituer une béquille sur laquelle me reposer, pour reprendre mes cours de conduite une fois par semaine ou pour rester efficace quelques demi journées par-ci par-là, ça pourrait déjà changer beaucoup, beaucoup de choses.

Les deux premiers mois, je n’ai eu aucune nouvelle. D’un coté, ce n’était pas plus mal, car je passais mon temps à ne faire que dormir et me reposer. C’est aussi le moment où l’information a fait le tour de ma famille, et où j’ai dû supporter toutes sortes de réactions. Il y avait ceux qui paniquaient, ceux qui voulaient absolument me faire sortir de chez moi en pensant que c’est ce dont j’avais besoin pour aller mieux (difficile quand on ne le vit pas au quotidien, de comprendre qu’on peut être épuisé au point de passer des semaines à dormir sans avoir la force de rien d’autre, et sans que ça veuille dire qu’on est déprimé), il y a eu aussi des réactions de déni violentes, qui sont sans aucun doute celles qui font le plus mal, venant des personnes qu’on aime, même si c’est une manière comme une autre de faire face.

Ça aussi c’est une chose compliquée : devoir réconforter ou gérer l’inquiétude de certains de nos proches, alors que nous mêmes sommes souffrants, épuisés, et évidemment inquiets.

Au bout de trois mois, je n’avais toujours aucune convocation, aucune nouvelle de l’hôpital. Je prenais mon courrier tous les jours, par crainte de rater la lettre, surtout qu’il n’y avait pas que moi, qui attendait. À chaque fois que certains de mes proches m’appelaient, c’était pour me demander si j’avais des nouvelles de l’hôpital. Ça me faisait remonter cette boule au ventre, cette angoisse de ne pas avoir de réponse, que je portais en moi tous les jours et que j’essayais de repousser constamment pour qu’elle ne me paralyse pas. Quand je leur disait « non, toujours pas », les réactions étaient variées : parfois tristes, parfois indignées, parfois colériques. Ce qui n’arrangeait rien à ce sentiment d’attente, d’impuissance et d’absurdité qui me serrait le ventre tous les jours. Au contraire, ça y ajoutait le poids du pire des sentiments avec lequel je vivais alors : la culpabilité.

Fin 2015, soit déjà 5 mois après la première consultation avec Neuro-bis, et après plusieurs appels au secrétariat du pôle neurologie sans obtenir de réponse ou d’indices quant au temps d’attente que je devais redouter, j’ai enfin reçu une lettre.

Une lettre. Pour une convocation. Pour une polysomnographie. De deux jours. En hospitalisation.

C’était un coup de massue. Je devrais revivre cette expérience pénible, être de nouveau hospitalisée dans un milieu médical où ne serait-ce que réussir à m’endormir relèverait de l’exploit. Je me suis donc soumise à cet examen en janvier 2016, six mois après le premier rendez-vous. Plus de 5 mois après mon arrêt de travail. Je ne vais pas m’y étendre, je l’ai raconté ici.

Je me disais qu’au moins, une fois l’examen fait, les choses allaient surement s’accélérer. Mais non. Un mois après, pas de nouvelles. J’ai renoncé à continuer à téléphoner à l’hôpital tous les mois pour demander des nouvelles, vu que ça ne servait visiblement à rien à part les embêter et me faire me sentir encore plus abandonnée.

Deux mois après l’examen, j’ai bien reçu une convocation, mais c’était auprès du médecin conseil de la sécu, qui a passé une heure à me demander pourquoi je ne travaillais plus, comme si j’étais une menteuse (et comme si c’était rigolo d’être dans cette situation, youpi). Il a tenté de pousser pour que je lâche l’affaire et pour me mettre en invalidité; mais j’avais vu une assistante sociale avant mon arrêt de travail, qui m’avait aidée à demander la RQTH, la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé, pour pouvoir faire valoir mes droits auprès de la MDPH (Maison Départementale des Personnes Handicapées). Et elle m’avait parlé de l’invalidité. Et en gros, comme ce serait calculé sur mes revenus d’alternance, je n’aurais pratiquement rien.

En arrêt de travail, je n’avais pas de versement équivalent à mon salaire bien sûr, mais avec la prévoyance de mon entreprise, j’avais une compensation supplémentaire aux versements de la sécu, et j’arrivais à avoir juste assez pour payer mon loyer, ma nourriture et celle du Loup. Si je passais de 900 à 300€, je n’aurais plus de logement. J’avais beau avoir l’habitude de me serrer la ceinture, si ça devait arriver, je n’aurais plus rien du tout.

Alors je lui ai expliqué longuement que je voulais retourner à mon travail, que ce n’était pas de ma faute si l’hôpital mettait des plombes et que je n’avais aucun moyen de savoir si je serais convoquée dans trois jours ou dans trois mois. Je me souviens de mes mains qui tremblaient, de son regard condescendant quand il s’est mis à me reprocher de ne pas avoir continué à la prendre la Ritaline, bien que les effets secondaires dangereux (en particulier l’anorexie et les troubles cardiaques) et son efficacité insuffisante pour continuer le travail était inscrits dans le dossier de 30 pages qu’il avait sur son bureau, juste devant lui. Fermé.

Je suis sortie de là en me sentant tout bonnement misérable.

Heureusement, je n’ai pas été seule. J’ai pu compter sur beaucoup de mes proches. Je pense en particulier à mon ami la Fripouille, qui est venu m’aider, dans les premiers mois, où malgré le repos, ma fatigue ne voulait pas diminuer, à faire le ménage chez moi, et m’occuper de mon jardin. À ma voisine Lucie, que j’ai rencontré à cette époque et qui m’a dépannée souvent. Heureusement, j’ai pu être soutenue et encouragée. Grace à ça, malgré les mois qui passaient, j’ai réussi à tenir le coup.

Petit à petit, une fois la fatigue des six premiers mois après l’arrêt de travail atténuée (oui, hein, un sacré temps de récupération), et toujours sans nouvelles donc, j’ai essayé de me résoudre à mettre en place de petits aménagements pour améliorer ma vie, plutôt que de continuer à ignorer mes difficultés neurologiques. J’ai installé un tableau blanc pour noter et valider les tâches ménagères, et palier à mes problèmes de mémoire. Je me félicitais de chaque petite tache quotidienne que j’arrivais à faire. À ce propos, je me souviens de la fois où j’ai réussi à rattraper tout mon retard sur ma lessive, et où j’ai vu le fond du sac à linge sale. C’était réellement une victoire et un moment de joie.

Comme j’avais le besoin de me réconcilier avec mes guitares, délaissées à contre coeur faute d’énergie depuis des années, je me suis lancée grâce à ma marraine dans un nouvel instrument, le violon, en autodidacte, comme toujours. Progresser de nouveau au quotidien dans la musique m’a fait beaucoup de bien, c’étaient des petits moments de répit. J’ai pu retrouver un peu de temps pour écrire et composer, et finalement sortir mes guitares du placard.

Ça ne changeait rien au fait que j’étais dans une attente insupportable, mais je me rendais compte que, malgré ces très, très longs mois de récupération, je retrouvais enfin un tout petit peu d’énergie, et que je pouvais avoir un minimum de productivité, souvent la nuit à cause de mon décalage de phase. La maladie ne m’enlevait donc pas qui j’étais, elle ne me rendait pas incapable ou vide ; elle me forçait simplement à vivre à un rythme exagérément lent.

Malgré ces progrès au niveau personnel, j’étais hantée par ce sentiment d’absurdité. J’étais coincée. Totalement coincée. J’aurais dû passer mon permis, déménager, m’épanouir dans mon travail, sortir, me faire des amis, peut-être rencontrer quelqu’un que je pourrais aimer, mais au lieu de ça, j’étais un cadavre ambulant de 23 ans, noyé sous les problèmes et coincé dans son appartement au bord d’une route dans un quartier craignos, sans savoir si je pourrais payer mon loyer à la fin du mois. Le souci ce n’était pas seulement les limites posées par ma situation médicale, professionnelle et matérielle incertaine ; c’était aussi de trouver des moyens de vivre et d’exister avec un état physique aussi diminué. Et croyez moi : tout ça mis bout à bout, ça fait un sacré casse-tête.

Ma vie ne ressemblait plus du tout à ma vie. Tous les jours, j’étais dans l’attente, dans la peur, dans l’envie pressante de retourner à mon travail, de sortir, de vivre. Mais tous les jours, j’étais emprisonnée par la fatigue que je peinais à apprivoiser et à accepter, et épuisée encore plus de l’angoisse de n’être maîtresse de rien. J’avais l’impression de regarder passer l’éternité par ma fenêtre.

J’étais perdue au milieu de nulle part, comme si la ligne du déroulement de ma vie avait été aspiré au hasard d’un trou noir. Toutes les portes étaient fermées, je n’avais aucun contrôle. Mes perspectives, mon avenir, tout ça se résumait à attendre, et vivre au jour le jour en essayant de tenir bon, d’apprivoiser ma santé pendant que ma situation globale était entre les mains de quelqu’un d’autre.

Mon avenir et mes projets s’étaient évaporés, me laissant totalement perdue, comme Alice dans les bois du Pays des Merveilles, quand les sentiers s’effacent tout autour d’elle.

Les mois ont continué à passer, et j’ai fini par appeler de nouveau l’hôpital pendant l’été 2016, soit 1 an après le premier rendez-vous, 10 mois après mon arrêt de travail, et 6 mois après la polysomno. En brandissant ces durées tout de même assez longues, et le fait que j’avais quand même une vie et un travail, à la base, j’ai réussi en insistant plusieurs fois à avoir la secrétaire de Neuro-bis. Je vous résume le dialogue:

« Ne vous en faite pas, en cas de désistement d’un autre patient, je vous appelle, hein, je sais que vous attendez, on peut pas faire plus vite que la musique.

– Mais vous ne voulez pas me poser directement un rendez-vous plutôt que d’attendre un désistement?

– Ah mais mademoiselle, si on vous pose un rendez-vous, il y en a au moins encore pour 8 mois à 1 ans! »

Clairement, le ciel m’est tombé sur la tête, et je me suis promis de ne plus jamais les rappeler, tant tout valait mieux que de m’entendre dire ça.

Au final, j’ai été convoquée pour un rendez-vous avec Neuro-bis à la fin de l’année 2016, soit 15 mois au total après notre premier rendez-vous, et plus d’un an après mon arrêt de travail. Un an à me ronger les sangs, dans l’attente.

Et vous voulez connaitre la conclusion ? Neuro-bis a commencé le rendez-vous en m’expliquant sans trembler des jambes que le protocole expérimental avait été fermé depuis plusieurs mois aux patients atteints d’hypersomnie idiopathique.

Mais elle a ajouté que ce n’était pas grave, puisqu’il allait être mis sur le marché un de ces jours et que donc elle pourrait me le prescrire bientôt. Par contre, il ne me permettrait pas de conduire, par exemple, car il n’était pas aussi éveillant que la Ritaline. Pas aussi éveillant que la Ritaline…? Conduire, c’était pratiquement tout ce que j’attendais de ce traitement…

À ce moment là, ma tête s’était mise à tourner. Comme si tous les maigres espoirs qui m’avaient fait tenir bon pendant toute cette année pénible m’étaient arrachés d’un coup.

Ce rendez-vous s’est très mal passé. Je ne sais pas si je le raconterai un jour, en tout cas, je suis repartie sans traitement, sans certificat pour mes démarches administratives en anticipation de la reprise ou mes demandes d’aides supplémentaires auprès de la MDPH (notamment la carte de priorité, qu’on m’avait déjà refusé une fois faute de certificat d’un centre de référence), en m’étant fait expliquer que la molécule était moins efficace que la Ritaline contrairement à ce qui m’avait été dit la première fois qu’on s’était vues, en ayant refait un examen pénible pour rien, et avec, de nouveau, l’attente d’un nouveau rendez-vous, trois mois plus tard, pour commencer l’essai de traitement.

Je suis sortie de là en pleurs, inconsolable pendant des heures, totalement désespérée. Et l’attente a continué.

Voilà l’histoire de la fin de mon année 2015 et de 2016. La pire année de ma vie. Je l’ai ressentie comme une année entièrement perdue, d’ailleurs c’était la première fois que je refusais de fêter mon anniversaire. En réalité, cette année m’a permis de reprendre mon quotidien en main, d’apprendre à mieux connaitre mon rythme, de mieux comprendre comment fonctionnait mon cerveau foireux. Mais même si tout ça est primordial, ça semble bien mince sur le coup, comme accomplissement, quand toute notre vie est mise en attente devant un avenir compromis et effrayant.

Vous savez, quand on dit « il y a des délais de plusieurs mois d’attente pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste », on se dit que, bon, il suffit d’attendre, et que la vie continue. Attendre, c’est pas si difficile, pas vrai?

C’est l’enfer. L’enfer total. Il ne s’agit pas de regarder le temps passer, et la vie ne continue pas. La vie est en pause, totalement, et chaque jour c’est comme si un trou dans notre poitrine s’ouvrait un peu plus.

Il y a d’abord l’incertitude. De se dire qu’on fait tout ça sans même savoir si la commission acceptera de nous donner accès au traitement. Si le traitement marchera. Si tout ça sert à quelque chose. Si la vie reprendra ou si tout va continuer à se détériorer sans « dernier traitement expérimental » auquel s’accrocher.

Ensuite, il y a la peur de voir notre vie changer, la culpabilité de se sentir pas à la hauteur, ignoré voir suspecté par les médecins (cf celui que nous appellerons si vous le voulez bien « le connard de la sécu », ça va devenir un personnage récurrent, vous verrez). La peur irrationnelle de lâcher prise dans une situation où on a, de toute façon, aucune prise sur rien.

Il y a l’inquiétude, quand la sécu ou la prévoyance ont leur premier « petit » retard d’un mois et demi dans leur versement. Il y a la honte de demander à nos proches de payer le loyer à notre place. De voir nos amis venir avec un peu de nourriture pour remplir le frigo.

Il y a la colère, aussi. La colère de ne plus pouvoir aller à son travail, d’avoir dû renoncer à des activités qui nous sont nécessaires. La colère de voir la compromission de tout notre avenir et nos projets résumés à des bla-bla administratifs. La colère de ne pas être compris. La colère de devoir « faire avec » au milieu d’un monde qui nous demande de « faire mieux » alors qu’on est dans la merde jusqu’au cou et que tout nous est arraché peu à peu. La colère contre ceux qui nous disent qu’on a de la chance de rester au lit, contre les médecins, contre à peu près tout, en fait. Et comme être en colère contre tout est assez difficile sur le long terme, on finit par être, beaucoup plus simplement, en colère contre soi-même.

Il y a la tristesse. Les larmes qui s’échappent un matin en voyant par la fenêtre quelqu’un attendre son bus pour aller au travail. Les larmes de négociations quand on se dit que c’est trop insupportable, qu’on veut tout ignorer et prendre sur nous, recommencer à faire semblant que tout va bien comme avant le diagnostic, peu importe le prix à payer, juste pour qu’on ne doute plus de nous. La tristesse de parfois percevoir la pitié, l’indifférence ou le doute dans le regard de ceux que nous aimons. La tristesse de ne plus savoir ce qui est encore à nous, dans notre propre vie.

Et puis, il y a la frustration de voir que, malgré tous ces sacrifices, la maladie est toujours là, comme des chaînes invisibles accrochés à nos chevilles et nos bras, et qu’il faut réussir à l’apprivoiser, continuer à s’adapter, à renoncer, en même temps que tenir bon dans tout ce merdier.

Alors, si je raconte tout ça, si je tiens à revenir sur ces différentes périodes qui sont derrière moi, ce n’est pas pour me plaindre ou ressasser ; si je tiens à les raconter, c’est parce que je sais aujourd’hui combien nous sommes nombreux à passer par là. À se retrouver coincés, effrayés, en attente d’un traitement, d’un examen, d’un rendez-vous, d’un aménagement, sans savoir ce qu’on va devenir. C’est cette année là, justement, que j’ai pu découvrir des blogs et forums d’autres spoonies et les témoignages de ces moments si difficiles qu’ils ont dû traverser. Ça a été une aide immense pour moi. Ça m’a permis de comprendre que ce n’était pas de ma faute, que je n’étais pas la seule à vivre tout ça. C’est pour ça que j’écris aujourd’hui. Pour les autres spoonies qui passeraient par là.

Si vous êtes dans cette situation actuellement, si vous êtes perdu, sans savoir comment vous allez faire pour vous en sortir, sachez que vous n’êtes pas seuls. L’incertitude, l’attente, les remises en questions de nos projets les plus essentiels, et les sacrifices à cause d’une maladie… Tout ça est difficile, injuste. Ce n’est pas de votre faute, à aucun moment et d’aucune façon. Ne laissez personne vous dire le contraire. Si vous vous sentez seul, demandez du soutien, auprès de vos amis, de votre famille. Et si ce n’est pas possible, tournez-vous vers nous. Vers les autres spoonies. Nous sommes là.

Nous savons ce que c’est que d’être comme Alice dans les bois.

 

13 thoughts on “Mon parcours : comme Alice dans les bois

  1. Lily la mouette

    Je suis très heureuse que tu ais réussi à raconter cette période. Et une fois de plus c’est une réussite. je suis sûre que cet article atteindra son but et permettra de réconforter d’autres spoonies comme tu as pu toi même bénéficier de leur réconfort pendant l’ année difficile que tu viens de raconter. Tu n’es plus seule et nous sommes de plus en plus nombreux à attendre tes articles , à te lire , à te soutenir et a parier sur toi avec José envers et contre tout.
    La force est avec toi

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    1. Sam H.I. Post author

      Oui j’espère que ce texte pourra vraiment aider d’autres malades qui voient leur vie bouleversée à se sentir un peu moins seuls. Aujourd’hui, même si les choses restent compliquées, j’ai au moins la chance d’avoir pu m’approprier la maladie et d’avoir presque tous mes proches qui comprennent, qui ont appris eux aussi à accepter et qui me soutiennent. Comme tu dis, je ne suis plus seule. Beaucoup n’ont pas cette chance…

      Merci pour ton commentaire !

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  2. Archibuteo

    Encore une claque pour « ceux qui ne connaissent pas », cet article. J’ai réalisé grâce à cette lecture que quand ce qu’on attent est vital, nécessaire à la suite de notre vie et determinant pour celle-ci, l’attente est un gouffre. Une pause vertigineuse de sa propre existence. Ça a été tellement long. Et c’est si rapide à lire. Ce moment que tu décris à apercevoir des gens lambda attendre eux aussi, mais attendre 5mn leur bus pour le travail, ce moment m’a beaucoup touché. Il y avait de quoi désespérer mille fois, Lily la mouette a bien raison : la force est évidemment avec toi. (D’ailleurs, je t’envoie plein de courage et de fougue pour le Nanowrimo, tu vas y arriver !)
    J’ai la vision d’Alices multiples se hélant et se tenant parfois par la main au milieu des bois, pour moins se perdre. Je trouve ça beau.

    Avec l’hypersomnie tu restes qui tu es, tu restes la même, et ce également quand ce qui t’entoure se floute ou que ce monde va trop vite. Il me semble que tu sais ce que tu fais quand tu gardes précieusement tes passions et te donnes des objectifs. Il s’agit de ne pas te perdre, et de continuer à ouvrir un chemin. Tu restes une des plus belles personnes que j’ai jamais connues. 🐇 Love

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    1. Sam H.I. Post author

      « Ça a été tellement long. Et c’est si rapide à lire.  »
      C’est vrai. On ne peut pas raconter ce qui est si absurde, je crois. Cet article est le premier où je me sens vraiment à court de mot pour décrire ce que ça fait.

      Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂

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  3. TuesdayChild

    Ah ! Je me souviens bien de cette période, c’était tellement … je sais pas … Lourd ? Triste ? Impensable ?
    Tu as tellement bien su la retranscrire que relire tout ça m’a — physiquement — serré le coeur, et là j’attends sagement qu’il veuille bien se desserrer.
    En même temps … tu en es sortie.
    Et ça …

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    1. Sam H.I. Post author

      C’était une période dure. J’ai connu des malheurs dans la vie, mais à moins qu’un jour un traumatisme du style ma maison qui brûle avec toute ma famille dedans n’arrive et ne me rende définitivement folle, ça m’étonnerait de revivre un jour une période aussi longue et douloureuse que celle là. Je sais que ça peut être difficile à imaginer, mais autant de peur et d’impuissance qui rongent l’esprit aussi longtemps, ça peut nous détruire. D’ailleurs, certains en ressortent détruits. D’autres n’en ressortent pas.

      Heureusement, j’ai eu la chance immense d’avoir quelques soutiens forts, présents et aimants pour traverser tout ça, pour croire en moi quand je n’en étais plus capable. Je me rend compte encore chaque jour de cette chance, que tant d’autres n’ont pas.

      Merci de m’avoir soutenue pendant cette période interminable. C’est aussi ce qui me permet aujourd’hui d’en parler. <3

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  4. Aslik

    J’avoue que ce n’est pas l’article qui m’a le plus touché parmi ceux que tu nous as proposé jusque là mais cela dit, même si je ne te connaissais pas avant 2018 (à mon grand regret d’ailleurs :p), ça fait vraiment du bien de voir à quel point tu as l’air d’avoir pris du recul sur tout ce qu’il t’es arrivé. Et de constater que tu te poses maintenant en soutien vis à vis des autres plutôt qu’en soutenue, pour pouvoir transmettre ton expérience. C’est vraiment une belle démarche.

    Et content de voir que tu as réussi à nous pondre un article malgré ton implication dans le NaNo. Si c’est aussi bien écrit, ça promet !

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  5. Laurine

    Ton article m’a filé des frissons.
    L’attente, la vie entre parenthèse, les projets en stand by… Tout est en pause, en attendant d’aller mieux, de trouver des choses pour nous soulager/améliorer notre quotidien.
    merci encore pour ces articles

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      1. Laurine

        Tout à fait, j’ai vraiment l’impression que ma vie (et mes projets) sont en pause depuis 2015, l’années où les symptômes des autres pathologies se sont aggravés et « chronicisés » En 2015 je pensais que c’était juste une mauvaise passe de laquelle je me sortirai bientôt, en 2017 je commençais à trouver la mauvaise passe bien longue, en 2018, je commence à croire que si amélioration il y a, je ne retrouverai jamais pour autant ma vie d’avant

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        1. Sam H.I. Post author

          Je te souhaite beaucoup de courage. Ce sont des périodes très difficiles… Le rapport à la « vie d’avant » , mais aussi à la « vie qu’on prévoyait » ne disparaît pas du jour au lendemain. Mais je suis sûre que chaque personne avec un handicap (en dehors probablement de certains handicaps et maladies mentales, sur lesquels je ne saurai pas m’exprimer) a la ressource en elle pour vivre avec. Pour accepter, faire la paix, et réussir à s’adapter. Non pas au monde qui nous entoure, mais s’adapter à elle-même, pour avancer le cœur léger.

          Le monde qui nous entoure, lui, avec son appel à la normalité, à l’efficacité, est un obstacle, et c’est souvent à travers son prisme que nous nous projetons avec souffrance, parce que nous nous comparons à « ce que nous devrions être ». À ce que la vie  » devrait être ». Et que tout nous y renvoie si souvent.

          Quand on arrive à laisser de côté ce qu’on attend de nous (et évidemment à être épaulé un minimum!).. Je crois que c’est là qu’on peut montrer à tous (et à nous même) de quoi on est capable. C’est un long chemin, mais de mon côté, j’y travaille !

          De tout cœur avec toi !

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  6. Dull

    C’est le seul de tes textes que je n’avais pas commenté, mais pourtant c’est, je trouve, l’un des plus poignant.

    À chacun de tes paragraphes décrivant les émotions ressentie, tu me fait bondir le cœur d’empathie pour ce que tu as vécu, et ce que doivent vivres les malades (chronique ou non) en attente d’un médicament, en attente d’un diagnostique.

    Je te souhaite que ton blog puisse être, selon ton vœu, un phare aidant les spoonies un peu perdus dans les eaux troubles et la nuit de la découverte de leur maladie, et de son acceptation.

    🙂

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