Mon parcours médical a été long, et pour la suite de ce blog, je crois qu’il est intéressant que je vous en raconte les phases importantes, et que je vous présente quelques personnes. Aujourd’hui, ma rencontre avec Doc’Neuro. Si ce n’est pas fait, vous pouvez lire d’abord le commencement.
C’était fin 2014. Après que Doc’Traitant ait vu revenir normales mes prises de sang, en cherchant sans succès une cause à ma fatigue, il m’avait donné le numéro d’un Neurologue dans ma ville.
J’ai pris rendez-vous avec Neuro, et nous avons eu notre première consultation. Pour la première fois, quelqu’un s’intéressait à mes « histoires de sommeil ». Je n’y étais tellement pas habituée, j’avais tellement intériorisé au fil des ans que ma « fatigue » était une « fainéantise », que mes réveils épouvantables étaient « rien d’insurmontable », et que ma faiblesse cognitive était « une inattention », que j’ai, avec le recul, beaucoup minimisé ce que je vivais, devant lui. Pourtant, il prenait tout ça au sérieux.
Après un long entretien pour éliminer des causes possible de somnolence excessive, il m’a expliqué qu’il fallait faire un examen appelé « polysomnographie ». Que je serais hospitalisée le soir dans la clinique où il travaille, et qu’après la première nuit, j’aurai une journée de TILE (test Itératifs de Latence d’Endormissement), ce qui, en pratique, consistait à me mettre au repos total, dans le noir, en position semi-allongé, pendant 20 minutes 6 fois dans la journée, et voir si je m’endormais, et en combien de temps. Je me suis un peu affolée; je ne fais jamais la sieste, les siestes m’épuisent. Je lui dit que je ne risquais pas de m’endormir, tellement j’ai l’habitude de lutter contre le sommeil pendant la journée. Mais, m’a-t-il dit, ça n’a pas d’importance, ce test est surtout fait pour détecter une narcolepsie, et lui, suspecte une hypersomnie. Donc les résultats des TILE n’étaient pas réellement importants ou significatifs dans mon cas.
Ce qui l’était, par contre, c’est mon temps de sommeil. Il m’a expliqué que c’est pour ça qu’il voulait me garder deux nuits, pour que je sois en libre cours (sans réveil forcé) pour la seconde nuit. Et quand je lui ai dit que je ne me sentais vraiment pas bien en milieu médical, et que ça me stressait beaucoup, il en a rajouté une troisième, pour pouvoir observer mon sommeil le mieux possible avec deux nuits en libre cours. Il existait aussi des systèmes pour mesurer le sommeil à domicile, mais comme c’était moins fiable, et même si dormir à la clinique me perturbait, il fallait le faire en hospitalisation, pour commencer.
Comme, de toute façon, je ne pouvais pas être hospitalisée tout de suite à cause de raisons professionnelles et personnelles, il m’a demandé de mettre ce temps à profit pour tenir des agendas du sommeil, qui se présentaient comme un tableau, avec les jours découpés en heure de la journée. Je devais noircir les heures où je dormais et indiquer un « S » lorsque je somnolais.
J’ai tenu ces agendas, et trois mois plus tard, j’ai pris rendez-vous pour la polysomnographie.
Pendant l’hospitalisation, Neuro est venu me voir une fois. C’était rassurant de ne pas se sentir abandonnée. Mais d’un autre coté, je me demandais toujours un peu ce que je foutais là. Je repensais à ce que m’avait dit mes parents, quand je leur ai annoncé que Doc’Traitant me redirigeait vers un neurologue.
« Ah, et tu comptes solliciter combien de médecins parce que tu as du mal à te lever le matin? »
J’ai en effet, et indépendamment des efforts très appréciables de Neuro, mal vécu cette hospitalisation. Tous les capteurs étaient inconfortable. La caméra braquée sur moi me faisait me sentir comme un rat dans un laboratoire. Je me sentais mal, et seule, face à ces questions qui tournaient en boucle dans ma tête. Je n’ai pas eu du tout le sentiment de bien dormir, ni, et ça c’était évident, de ne serait-ce qu’approcher le sommeil lors des TILE. « …Tout ça pour ça? »
En rentrant chez moi, j’ai sauté dans un bain, et m’y suis endormie. Je devais reprendre le travail le lendemain, mais Doc’Traitant a rallongé mon arrêt de travail pour que je puisse me remettre de ces trois mauvaises nuits.
J’avais de nouveau rendez-vous avec Neuro à peine une semaine plus tard, pour les résultats.
Je me souviens de ces jours d’attente; je me souviens de ce qui se jouait dans ma tête. D’abord, je me sentais coupable. Je me sentais coupable de mobiliser du monde autour de mes « histoires de sommeil », et j’avais honte d’avouer à quel point ça me pourrissait la vie. Comme si c’était une faiblesse. Pour couronner le tout, j’avais l’impression d’avoir raté ma polysomnographie. Comme si j’avais échoué à un examen. Et puis, j’avais peur. J’avais autant peur de découvrir que, oui, j’étais malade, que d’entendre que, non, tout allait bien. Mais à chaque fois que ces petites voix tournaient dans ma tête, il y en avait une qui surgissait, la même sans doute que celle qui m’accusait d’avoir échoué à l’examen; « si il te dit que tout va bien, ma grande, t’es foutue, t’es cuite. Parce que rien de tout ça n’est normal. »
J’ai reçu mon diagnostic. Même si mes résultats étaient, contre toute attente, plus que révélateurs, je me souviens qu’il n’a pas dit « Oui, vous avez ça, vous êtes malade ». Il a dit « les résultats sont en effet en faveur d’une hypersomnie idiopathique ». J’ai demandé, « alors, qu’est-ce que ça veut dire »? Il m’a dit qu’on allait essayer un traitement éveillant, le Modiodal. Ma mère était là, elle a demandé ce qu’il en serait pour ma vie professionnelle. Il a parlé de statut handicapé. J’entendais, sans écouter.
Il n’avait toujours pas répondu à la question.
« Qu’est-ce que ça veut dire? »
J’ai insisté, j’avais besoin de l’entendre de façon formelle, j’avais besoin d’être capable de l’entendre et le comprendre, pour pouvoir enfin arrêter de faire taire la petite voix amère et alarmiste dans ma tête. Il fallait que je l’entende pour que toutes ces barrières se brisent.
« Vous êtes sûr que c’est ça?
-D’après vos résultats, on rentre dans le cas de l’hypersomnie idiopathique.
-Mais… ça pourrait être autre chose?
-Autre chose? Non, vous présentez bien les symptômes d’une hypersomnie idiopathique. »
Le reste de la consultation est un flou total. Je lui posé la question de la conduite automobile, il m’a demandé si je m’en sortais bien, pendant mes leçons; je lui ai répondu que, non, je manquais systématiquement de me vautrer dans le fossé sans savoir comment. Il a du dire quelque chose comme « il vaut mieux stopper vos leçons de conduite, pour le moment », avec un air pas étonné le moins du monde. Le reste, je ne m’en souviens plus, alors le mieux est de vous partager la première entrée de mon journal, que j’avais commencé à tenir après le diagnostic.
Ce qui est sur, c’est que ces barrières, dans ma tête, n’ont pas été brisées. Avec le recul, je me dis que les médecins ne sont pas suffisamment équipés pour annoncer un diagnostic. Alors que c’est un moment crucial pour le patient. Bien sur, avec une pathologie aussi rare et mal connue que l’HI, ça peut être compliqué de se lancer dans des affirmations solennelles; dans dix ans, on réalisera peut-être que les patients diagnostiqués hyper idios ont en fait un problème plus précis, duquel les troubles de sommeil découlent. Mais alors, il faudrait au moins nous dire « voilà le diagnostic. Il est toujours possible que ce soit autre chose, où qu’on en sache plus dans quelques années, mais en tout les cas, votre état n’est pas normal du tout. »
Bien sûr, tourner autour du pot leur évite de nous voir fondre en larmes ou faire un malaise. Mais nous, alors, à quel moment devons-nous, pouvons-nous faire le deuil de ce que nous avons toujours cru n’être que « des histoires de sommeil »?
Article suivant dans « Mon parcours » : Le déni
Je pense que le problème des médecins est surtout qu’ils ne sont pas malades. Et c’est parce qu’ils ne sont pas malades et que chaque patient est unique ,qu’ils devraient prendre le temps de l’entretien clinique. Mais a partir du moment où ils te posent une étiquette de pathologie , ils pensent tout savoir sur ton état , et ne t’écoutent plus que d’une oreille , ne prennent pas le temps de répondre à tes questions. En quelque sorte le job est fait, alors qu’au contraire il ne fait que commencer.D’ou l’intérêt de ton blog et des travaux de gens comme Cyrille Vernet: vous parlez de ce que vous connaissez bien parce que vous le vivez, et que vous êtes capable de l’analyser ce qui n’est pas donné à tout le monde . En partageant votre expérience vous donnez des réponses à d’autre , et vous rompez l’isolement. C’est courageux de parler. Alors félicitation pour ton initiative et ton courage et nous attendrons avec impatience les prochains articles…
« En quelque sorte le job est fait, alors qu’au contraire il ne fait que commencer. » Côtoyant un peu le milieu, je crois qu’il y a qqch de très juste là dedans… Certains médecins sont très attentif à ça évidemment, certains sont même malades (!), mais dans l’ensemble c’est un travers tellement facile à prendre, un chemin si tentant à emprunter…