Comment j’en suis arrivée là? Comment en suis-je arrivée au diagnostic? De quelle façon la maladie s’est-elle installée? En quoi a-t-elle affecté ma vie? C’est difficile de savoir réellement par où commencer, mais voilà un résumé. J’aurai l’occasion, quoi qu’il en soit, d’y revenir plus tard. Voilà le contexte, le commencement.
Il y a eu des signes d’anomalies neurologiques depuis mon plus jeune âge, mais ces dysfonctionnements n’étaient sans doute que le reflet d’un terrain neurologique assez foireux, et comme tout ceci est encore imprécis aujourd’hui, je ne vais pas les préciser ici. A l’adolescence, je me découvre migraineuse. Heureusement, les crises ne sont pas très fréquentes, et en plus mes parents connaissent la migraine par une de leurs amies.
En essayant d’y repenser, c’est vers l’âge de 8 ans que j’ai commencé à dormir de plus en plus. Il n’y a aucun gros dormeur dans ma famille, et avant cet âge, j’étais du genre à me lever tôt et réveiller tout le monde. A 12 ans, on commençait à s’agacer de mes « grasses matinées » dans la famille. C’est aussi à cet âge que j’ai, pour la première fois, repoussé mon père qui était venu me réveiller, au point qu’il m’avait laissé dormir et était arrivé en retard au travail en attendant mon réveil, où j’avais tout oublié.
Au lycée, j’avais de moins en moins « le temps ». Je n’avais plus « le temps » de continuer le sport. Je n’avais plus « le temps » de faire de la musique en groupe. Pas « le temps » de passer mon code en même temps que suivre les cours. Mon entourage trouvait ça dommage et mettait ça sur le compte du stress, quant à moi, je ne réalisais pas que ce n’était pas normal.
Évidemment, ce n’était pas le temps, le problème; c’était mon énergie qui s’en allait. La maladie qui continuait à s’installer, et le sommeil qui me rattrapait. Mais ça, je n’en savais rien à l’époque.
Au lycée, je passais toutes les vacances à dormir, je ne sortais presque pas (sauf certains soirs pour aller au bar avec des amis, mais je trouvais moins fatiguant de les inviter à la maison), je passais énormément de temps en pyjama, dans mon lit ou devant la télé. J’agaçais mes proches en leur disant que j’étais « trop fatiguée pour partir en voyage pendant les vacances ». Mes parents devaient parfois s’énerver pour me faire sortir du lit le matin. Et en cours, comme dans toute ma scolarité, on remarquait ma discipline et mes « facilitées », mais on me reprochait de toute part une « inattention » et une « lenteur », alors que je faisais des efforts d’attention et de rapidité énormes, et que je n’avais jamais été du genre je-m’en-foutiste inattentive, dans quoi que ce soit, même au contraire, quelqu’un de plutôt consciencieux et… « éveillé ».
Au moment du BAC, je me suis cogné une mononucléose avec un tas de complications dont une hépatite, mais gavée de corticoïdes, j’ai passé l’examen, j’ai eu mon BAC avec mention. Pour la suite, je savais depuis deux ans que je voulais travailler dans le son, dans l’audio-visuel, que c’était ma vocation, mais ma famille n’était pas vraiment d’accord. Alors je me suis inscrite en fac. Trois mois plus tard, j’ai perdu un proche.
J’ai arrêté d’aller à la fac, j’ai dit que la vie était courte, et que je voulais faire du son. J’ai dû me débrouiller, trouver des stages, sans convention, faire des formations intensives, dans l’espoir d’entrer dans un BTS réputé près de chez moi l’année suivante, malgré mon « mauvais » dossier, dans le contexte (un BAC L, et des résultats passables). Et j’ai dû faire tout ça en gérant la pression.
Ma vie professionnelle n’est pas le sujet, donc je vais faire court, mais en gros, j’ai réussi à me former, à rentrer dans ce BTS réputé en alternance, ce qui fait que j’ai pu me payer mon appart’ avec le Loup, mon gros chien, et accéder enfin à l’indépendance tant désirée, en plus de la voie que je souhaitais. Par la suite, j’ai été diplômée, et j’ai signé un CDI en tant qu’ingénieur du son. À 21 ans, du coup. Autant dire que je me suis battue.
Pendant cette période, à partir de l’alternance, plus le temps passait, plus j’arrivais en retard, je n’arrivais pas à me lever le matin. Les autres élèves du BTS sortaient boire un verre après les cours, moi, je ne tenais plus debout. Je rentrais, je m’écroulais, je m’évanouissais de fatigue, parfois toute habillée. Très souvent, je ne faisais pas mes devoirs, ou je m’endormais dessus, dans mon lit. Mes profs remarquaient que j’étais travailleuse, surtout en classe de pratique, où j’étais globalement celle qui travaillait le plus, mais parfois, ils intervenaient pour m’envoyer boire quelque chose à la cafétéria (je buvais des litres de coca light par jour, depuis des années), ils me demandaient si je dormais assez, si j’allais bien, tant je semblais prête à m’écrouler parterre. Au travail, c’était très dur aussi. J’oubliais très souvent ce qu’on me disait, j’avais du mal à gérer deux choses à la fois, on s’agaçait de mon « manque de concentration », alors que j’étais, théoriquement, très capable de faire du bon travail. Je mettais toute cette fatigue sur le compte du fait que je n’avais pas de vacances, je pensais que c’était normal d’être aussi fatiguée, ou, tout simplement, que c’était de ma faute, que je ne savais pas gérer correctement ma vie et mon énergie.
Et puis est arrivé le moment où je ne me réveillais carrément plus le matin. J’arrivais au travail à 11 heures, sans avoir entendu mes réveils. C’était le chaos. J’ai investi dans un super réveil de luminothérapie à 200 euros, j’ai demandé à ma mère de m’appeler le matin pour vérifier que je sois levée. Elle m’appelait, mais… Malgré mes trois réveils machine et les 15 alarmes sur mon téléphone, je ne me réveillais pas. Je ne me réveillais, juste: pas.
J’avais toujours beaucoup dormi, mais là, ça devenait littéralement un enfer. J’arrivais au travail en retard, honteuse, incapable de me justifier, en longeant les murs, et je me rendormais sur mon bureau. J’avais des absences, des amnésies (j’oubliais le code pour rentrer dans le bâtiment, ou le code de ma carte bleue). J’avais mal à l’estomac chaque fois que je mangeais, j’enchainais les gastros, les rhumes, j’étais une épave. Je ne retenais rien de ce qu’on me disait. Je n’arrivais plus à suivre une conversation. C’était comme si je n’avais pas dormi depuis une semaine, tous les jours. Alors que je dormais littéralement tout le temps, que ce soit debout, dans l’ascenseur, aux toilettes, dans le bus, ou dans mon lit. Durant cette période de deux ans, j’ai été plusieurs fois voir mon médecin traitant, qui m’a mise en arrêt pour épuisement, il me disait que la pression de me démener pour travailler et suivre mon BTS en même temps devait être fatiguant. Mais pourtant, les autres y arrivaient… Et moi, j’en étais à faire des nuits blanches avant les journées importantes, parce que j’étais terrifiée de savoir que si je m’endormais, même si je dormais 16 heures, rien, RIEN ne pourrait me réveiller. Comme si j’étais dans le coma. Comme si j’étais morte. Et que, quoi qu’il arrive, je serai quand même un peu plus fatiguée le lendemain.
Le sommeil était en train de détruire toute ma vie.
Un jour, mon collègue responsable et ami m’a convoqué dans son bureau pour me dire que ça ne pouvait plus durer. Il m’a dit qu’il fallait que j’arrête de sortir avec des amis ou de faire la fête, pour au moins ne pas arriver avec trois heures de retard, ce qui était intolérable (et il avait évidemment raison). Je lui ai dit que je ne sortais jamais, que je ne voyais plus mes amis depuis des mois, que je ne me souvenais plus de la dernière fois que j’avais sorti ma guitare ou regardé un film, que je rentrais le soir, et que j’allais me coucher directement, parfois même à 19h, sans manger, pour espérer être en forme le lendemain. Je crois qu’à ce moment-là j’ai fondu en larmes. Il m’a dit « alors va voir un médecin, parce que si c’est vrai, c’est pas normal. Mais fais quelque chose ».
Bien sûr, je cachais tout ça à mes proches. Je cachais tout ça à tout le monde. Je culpabilisais horriblement.
Je suis allée consulter mon médecin traitant, je lui ai demandé une prise de sang, un bilan, je lui ai demandé de chercher si quelque chose n’allait pas. Était-ce parce que j’avais une alimentation végétalienne? Mes bilans avaient toujours été bons, mais peut-être n’avions-nous pas tout vérifié, peut-être que j’avais une carence? Mes bilans étaient OK, une fois de plus. Doc’traitant, face à mes symptômes cognitifs, m’a renvoyée chez un neurologue spécialiste du sommeil, j’ai fait les examens, et le diagnostic est tombé. Hypersomnie Idiopathique.
Je n’accepte pas bien ce « nom » de maladie, mais j’y reviendrai plus en détail plus tard. Quoi qu’il en soit, j’ai appris que c’était une maladie neurologique incurable. Ce n’était pas de ma faute. Mon système nerveux central dysfonctionnait. Et je n’y pouvais rien. Il n’existait aucun traitement, on pouvait juste traiter un des symptômes (la somnolence) avec des psychostimulants. J’ai très mal toléré les deux traitements disponibles. Est arrivé le moment où j’ai dû me faire arrêter par Doc’traitant, en attendant un nouveau traitement expérimental, pour lequel j’avais consulté une autre spécialiste pouvant tenter de m’y donner accès. Et c’est à ce moment-là, en admettant que je n’arrivais plus à tenir le rythme du tout, que j’ai commencé à accepter que j’étais malade. J’ai commencé à voir tous mes projets partir en rideau. Et mes combats, dont je sortais pourtant vainqueur, se solder par un abandon forcé.
Est-ce une fin, un commencement, un peu des deux? Je ne suis pas plus défaitiste aujourd’hui qu’il y a trois ans, avant que tout ceci ne s’impose à moi. Mais il est certain qu’en me confrontant à cette réalité, celle de la maladie, celle de la vulnérabilité, de la faiblesse, de l’inconnu, de l’incurable, j’ai eu beaucoup de choses à reconsidérer, à penser, et aujourd’hui, j’ai beaucoup de choses à dire. C’est un combat qui continue.
Voilà le commencement. La suite, vous pourrez la trouver, en bribes décousues et désordonnées, dans le reste de ce blog.
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Félicitation pour la mise en ligne de ton blog.On en a partagé le contenu cet aprem avec des copains qui ont une belle fille de 20 ans qui vient d’apprendre qu’elle est atteinte d’une maladie chronique incurable au nom pas possible . En rentrant chez eux ils vont lui en parler. C’est l’effet boule de neige.C’est chouette!!
Lily la mouette
Frenchement c’est mm pas un diagnostic mais plus une observation, idiopathique veut clairement dire qu ils ne savent pas.. t as essayé de voir si t’étais pas positive à babesia ou borrelia?(Belgique red lab ou en Allemagne car en France leur test vaut que dalle) bon courage à toi. .
Merci Masria pour ton commentaire. Effectivement comme je l’évoque dans cet article, ce nom « Hypersomnie idiopathique » est très naze. Mais il désigne bien une maladie neurologique répertoriée, au même titre que la narcolepsie et le syndrome de Kleine-Levin qui sont deux autres maladies du sommeil…