Voir le soleil se lever

      11 commentaires sur Voir le soleil se lever

Hier, j’ai vu le soleil se lever. C’est un sentiment incroyable, et je crois que je dois le raconter.

Il m’arrive, de temps en temps, de faire des nuits blanches. Pas par insomnie, pas parce que je suis occupée, mais simplement pour me recaler. J’ai ce qu’on appelle un décalage de phase, comme c’est souvent le cas chez les hyper idios, qui sont des oiseaux de nuit. Je ne vais pas m’étendre sur les raisons qui ont pu être analysées pour expliquer ce décalage, mais en gros, disons que mon rythme de sommeil naturel, celui de mon cerveau et de mon corps, c’est à peu près 4 heures du matin – 17h, sans contrainte. Mon réveil s’étend jusqu’à 20h environ, après quoi je suis à peu près dans mon meilleur état de fonctionnement.

On pourrait croire comme je l’ai cru longtemps, que le décalage de phase est contextuel, et peut être maîtrisé. Que si on prend l’habitude de se lever et se coucher plus tôt, on va pouvoir refaire un nouveau rythme, mais c’est faux. On peut seulement se contraindre à un compromis, et la plupart du temps, j’y arrive. Mais ça me fait sacrifier ces heures, de 22h30 à 3h du matin environ, où je suis le plus « en forme », la plus productive. Ça rend les heures de réveil plus longues et plus pénibles. Et ces heures ne se décalent pas même si je décale mon sommeil. 

Alors, quand je suis trop fatiguée pour garder le contrôle sur mon réveil, le rythme auquel j’arrive à me contraindre (sommeil de 1h du matin à 14h, environ), et qui me permet de voir le jour et de n’être pas totalement décalée par rapport au reste du monde, s’effondre. Mon sommeil mange l’après midi en dépit des réveils, je me lève très tard, et le soir, je crève de saisir ces quelques heures d’éveil, alors je ne peux pas les sacrifier. J’en profite. Je profite de mon rythme bizarre et incompatible avec le reste du monde, mais qui est le seul où je puisse ne pas trop lutter, et avoir ces débuts de nuits précieux. 

Mais ça ne peut pas durer toujours. Parce que je ne peux pas bouleverser les horaires des magasins ni de mes proches pour qu’ils me conduisent faire les courses à 2h du matin, et que donc je dois me forcer à de très pénibles réveils pour me lever plus tôt, et sortir quand je dors encore debout. Parce que je m’ennuie d’avoir du mal à appeler mes amis, qui, eux, dorment, la nuit. Et le pire, c’est en hivers. L’été, il n’y a que les problèmes cités plus haut qui peuvent me gêner, mais l’hiver, je ne vois pas du tout, du tout le soleil. Je vis la nuit, dans le noir. Je me réveille, la nuit vient de tomber. Je m’endors, le jour n’est pas levé. Et ainsi de suite. Au bout de plusieurs jours ou parfois semaines, et malgré le confort inégalable de mon rythme de vie nocturne, ça devient pesant. Comme si je n’étais qu’à moitié un vampire, tiraillée entre le besoin de lumière et de vie, et la tendance de mon corps à vivre la nuit. C’est là que ça devient difficile. Oui, l’hiver, pour moi, souvent, n’est pas drôle.

Alors j’essaie de me lever plus tôt, je met tout mes réveils, mais rien n’y fait. Ce qui m’empêche de me recaler, ce n’est pas l’heure de coucher, mais bien l’heure de lever, puisque mon corps refuse de se réveiller avant ces heures tardives. Puisque je ne peux pas forcer mon cerveau à se réveiller, il ne reste donc plus qu’une solution : l’empêcher de dormir afin de le faire crever de fatigue et provoquer un endormissement précoce le lendemain, et prendre de l’avance sur mon rythme naturel. C’est la seule façon. Alors je me contraint à rester éveillée toute la nuit, en étant dans la pénombre, au repos, dans mon lit, et j’attend.

Et puis, vers 7 heures, épuisée, dans le brouillard, j’ouvre la fenêtre en grand. Et là, je me sens tellement émue, tellement victorieuse, tellement privilégiée.

Le jour se lève.

La guerre est terminée.

Vous savez, même quand je tiens mon rythme d’équilibre, où j’arrive à me lever vers 14h, je ne vois jamais le soleil du matin. Mais alors, quand c’est en hiver, et que je n’ai pas vu la lumière naturelle du tout depuis des jours et des jours… C’est comme si, tout d’un coup, j’étais en avance sur le temps. Comme si le monde s’était arrêté un peu, pour m’attendre, ou que j’avais réussi à remonter le temps. 

Je vois ces couleurs extraordinaires, le ciel, immense et infini, qui se pare de gris et de bleu quand la nuit meurt enfin dans les premières lueurs de l’aube, puis de rose et de cette lumière d’or, rasante, glorieuse, qui éclaire le monde d’une façon que j’avais oubliée. La rosée. La fraicheur de la nuit, l’air humide dans lesquels les sons se portent d’une façon si unique. Les premières voitures, espacées de silence. Le chant des oiseaux, ceux qui ont un chant aigue et vif, si différent de celui des oiseaux de nuit. La vie qui se réveille devant mes yeux émerveillés. Par miracle ou par magie, je suis en avance sur le monde.

Quelque part au fond de mon crâne endormi, je pense à tous ces jours où j’allais au collège, au lycée, très tôt, et où il faisait encore nuit, l’hiver. Jamais à cette époque je n’avais autant aimé le jour. Jamais je n’avais imaginé que ça deviendrait si exceptionnel de le voir, du début à la fin, sous toutes ses nuances de bleu, de gris, d’orange et d’or, qui bercent toutes les choses jusqu’à l’horizon. Jamais je n’aurais cru que ce serait un tel privilège. 

Sous la lumière du soleil du matin, rien n’est pareil. Tout est beau, vif et si rare.

Peu de choses ont autant de valeur à mes yeux que de voir se lever le jour à la fin d’une nuit de lutte contre le Monstre Sommeil. Même si je sais que ça ne durera pas, qu’au bout de quelques jours, je recommencerai malgré moi à me décaler vers la nuit comme toujours et que je devrai me contenter du soleil d’après midi, ce sont mes plus belles victoires, des moments extraordinaires dont je ne me priverai pour rien au monde, aussi rares et pénibles que soient les conditions qui font que je doive les vivre.

Le matin est et restera mon ennemi, celui qui me défie, qui m’oublie et dont je me sens privée, celui qui restera associé à tant de réveils forcés horribles, et la nuit sera toujours mon domaine, elle qui m’attend toujours, calme et lente. Ça ne me fait pas peur, ça ne me fait pas de peine, c’est simplement ainsi. Mais hors du temps, hors du sommeil, hors de la réalité, il y a ces moments de trêve où tout ça n’existe plus. Où je ne suis plus la dernière, où je ne suis plus en retard dans une vie qui va trop vite et après laquelle je dois courir. Où tout est teinté d’une couleur dorée et brillante, venant d’un autre monde, lointain, d’une autre vie. Où c’est moi, à demi endormie, qui défie l’univers, un sourire secret aux coins des lèvres.

Plaignez-moi, mes amis, d’être une créature de la nuit amoureuse de l’aube ; mais qui d’autre peut passer des heures assise à la fenêtre, à remercier le soleil de l’avoir, pour une fois, attendue pour se lever?

 

11 thoughts on “Voir le soleil se lever

  1. La Fripouille

    C’est vrai que c’est beau, un lever de soleil. C’est déjà beau pour quelqu’un comme moi qui le voit souvent se lever, alors pour quelqu’un qui redécouvre ce moment, ça doit être sublime ! Rien qu’en lisant ta courte description du moment, on dirait une peinture.

    Et puis c’est bien pour la vitamine D, aussi…

    Bref l’aurore c’est cool, mangez-en !

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    1. Sam H.I. Post author

      La vitamine D, c’est la base! Au moindre rayon de soleil je me cale dedans pour faire le plein! C’est important, surtout quand on est un semi-vampire…

      Ah si on pouvait en avoir par la lumière de la lune, j’aurais moins de problèmes avec cette fichue vitamine D!

      Merci pour ton commentaire 🙂

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  2. Aslik

    Effectivement, ces moments sont vraiment magnifiques . Il m’arrive la plupart du temps quand je suis chez moi d’arrêter ce que je suis en train de faire pour observer le soleil se coucher. Mais je me reconnais bien dans les sensations que tu décris. Moi-même, étant plutôt lève-tard, j’avais décidé il y a quelques semaines de me bouger et de me lever ultra tôt pour aller admirer le lever de soleil depuis la plus haute montagne du département (https://www.youtube.com/watch?v=zGngSiIulic). Malheureusement, il y avait un peu trop de nuages pour qu’on voit le soleil très longtemps, mais ce moment où j’ai vu cette boule rose apparaître et s’élever au loin était vraiment hors du temps.

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    1. Sam H.I. Post author

      Video magnifique! Hors du temps, comme tu dis, c’est tout à fait ça… Merci pour ce commentaire cher Aslik, tu m’étonnes que tu me comprends, espèce d’alter-égo de moi! ;-p

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  3. Archibuteo

    Et furent inventées les épiceries de nuit ! D’accord c’est vrai qu’il leur manque quelques rayons de jus de pomme, de pate d’amande et de tofu, et qu’elles n’ont finalement que 3 étagères… de bière. Entre autres. Mais elles ont des chips au vinaigre sans doute ! 😀
    L’aurore, le plus beau moment, hors du temps. Je suis sidérée à chaque fois, comme toi. J’aime cet espace bleuté, rosé ou doré selon les saisons, enivrant et gelé, plein d’oxygène et de promesses. Ça emplit le corps comme boire un verre d’eau de source. J’ai aimé sentir en moi cette impression à la lecture de cet article. J’aime les petits matins d’automne et d’hiver, mais permets moi un voeu pour toi
    : Que vienne vite l’été !

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    1. Sam H.I. Post author

      L’aurore est magnifique, c’est vrai, c’est comme un moment où le temps s’arrête… Mais je crois que c’est la première lueur crépusculaire de l’aube qui me bouleverse le plus. Voir des jours et des jours de nuit mourir enfin… Ça me semble irréel à chaque fois. La fin de la nuit.
      Merci beaucoup pour ton commentaire 🙂

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      1. Archibuteo

        En fait ce dont je parlais, c’est le moment avant que le soleil n’apparaisse. Quand il ne fait plus tout à fait nuit, et que le ciel se teinte déjà. On ne voit rien bouger et pourtant tout change très vite. Je n’arrive pas à savoir si c’est l’aube ou l’aurore. Peut-être que tu sauras me le dire.

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        1. Sam H.I. Post author

          En fait l’aube s’étend de la première éclaircie du ciel jusqu’au moment où le soleil va commencer à se lever. C’est le crépuscule du matin, quoi! Et quand le soleil commence à pointer le bout de son nez à l’horizon, c’est l’aurore, parée de couleurs flamboyantes!

          Donc avant que le soleil n’apparaisse, c’est bien l’aube, en effet! ;D

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  4. Dull

    PRAISE the SUN \[T]/

    Plus sérieusement, ton article est génial.
    On ressent vraiment l’attente du jour…
    Cela me fait penser aux pays où il fait nuit pendant 6 mois, à Gandalf qui arrive de l’Est, ou encore à la fin d’une garde de nuit
    C’est comme un retour à la vie, l’arrivée du soleil, la fin de la nuit, et de tout ce qui a pu si passer, saisis par l’aube!
    J’imagine que personne ne pourra jamais réellement savoir ce à travers quoi tu passes chaque jour, hormis un autre HI. Mais tes textes sont un bon moyen de nous permettre de comprendre n’en serait ce qu’un petit morceau
    Continue comme ça 😉

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    1. Sam H.I. Post author

      « Attendez ma venue aux premières lueurs du 5e jour. À l’aube, regardez à l’est. »
      Gandalf, Les Deux Tours

      Si ça fait de mes nuits la bataille du gouffre de Helm, c’est plutôt classe, j’approuve. B-)

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