Je sais que tu as peur. Et c’est normal, l’inconnu fait peur. Accepter et apprendre à vivre avec une maladie chronique, avec cette vie à l’avenir compromis, ça fait peur. Tu n’as pas choisi tout ce qui t’arrive, tous ces bouleversements dans ta vie, et tu t’en sors plutôt bien.
Tu t’es retrouvée à devoir gérer des rendez-vous médicaux, un tas de paperasse, des difficultés que la plupart des gens ne connaitrons jamais, et, au delà de tout ça, tu as du essayer d’apprendre à vivre avec une réalité injuste, froide et brutale, infaillible.
Je sais que ton travail, ta carrière, ton poste, celui que tu as du te résoudre à quitter le temps de tenter de trouver des traitements qui au final ne fonctionnent pas… Je sais que c’est ton poste, ton travail, que ça compte. Je sais que c’est une partie de toi. Comme toutes ces activités, tous ces projets que tu as dû aussi laisser de coté, à cause de ta santé, et qui font partie de ton identité.
Je sais que tu ne veux pas perdre ton travail pour toujours. Ni perdre aucune de ces choses. Je sais que ça fait presque aussi peur que ça fait mal. Je sais que parfois ça t’empêche de dormir, le soir. Je sais que parfois, tu te surprends à envier la vie des autres. À te demander ce que tu vas devenir, et l’interêt que tu auras si personne n’attends plus rien de toi, et que tu n’es plus qu’une handicapée qui vit seule chez elle.
Je sais que ton indépendance te manque. Je sais que tu y penses à chaque fois que tu as des frais importants, et que tu es obligé de recevoir de l’argent de ta famille, ou quand tu dois attendre chez toi que quelqu’un vienne te chercher en voiture pour te conduire quelque part. Je sais que ça laisse parfois un goût amer dans ta bouche, même si tu ne le dis pas.
Je sais que tu t’inquiètes de savoir si un jour, au milieu de toutes ces heures de sommeil, tu pourra rencontrer quelqu’un que tu pourrais aimer. Je sais que tu te demandes à quel moment tu devras révéler ton état, et à quel point tu devras insister en répétant « quand tu me vois, je suis au mieux de ma forme. Le quotidien n’est pas comme ça. Tu es sûr que tu peux gérer ? ».
Je sais que tu te demandes combien de personnes que tu pourrais aimer finiront par décider que c’est trop dur à gérer pour elles. Et combien de fois tu devras pardonner à ceux qui, eux, ont la possibilité de choisir si ils veulent de ta maladie dans leur vie, ou pas.
Je sais que tu te sens parfois seule, incomprise. Je sais que tu redoute chaque rendez-vous médical, tant il y en a qui se sont mal, très mal passés. Je sais que tu as peur qu’on te juge à cause de ton état. Qu’on te rabaisse. Qu’on t’arrache encore le courage qu’il te reste. Et c’est normal.
Je sais que rien de tout ça n’est facile, et je sais que tu donnerais n’importe quoi pour pouvoir te lever le matin et aller à ton travail, comme tout le monde, sans te sentir piégée dans un corps perpétuellement épuisé.
Maintenant, ce qu’il faut que toi, tu saches, c’est ça : La route est longue, ce n’est pas nouveau. Il y aura encore des épreuves, et encore des questionnements, et encore de la solitude. Ça ne fait pas si longtemps, sur le temps de toute une vie, que tu es diagnostiquée, moins encore que tu as commencé à accepter, et tu as déjà fait des progrès énormes. Tu t’en sors très bien. Mais, tu sais, accepter que tout change, ça prends du temps.
Alors n’aies pas peur, suis ton instinct et avance, la route est la bonne. Elle n’est juste pas facile.
Je me suis écrit ce petit message à moi-même y a quelques temps déjà, dans une de ces soirées douloureuses, au milieu des démarches et projets d’adaptation qui coûtent tant d’énergie pour tant de déception parfois, et qui laissent un goût amer de « à quoi bon? » quand on regarde en arrière, quand on regarde la vie qu’on aurait dû avoir, sans la maladie. Et que tout ressurgit en un bouquet de questions sans réponses.
Coucher ces mots sur papier, c’est pour moi un moyen d’évacuer ce que j’ai dans la tête. Je ne pensais pas garder ce texte, ni le publier un jour… Mais en retombant dessus, je me suis dit que d’autres spoonies pourraient aussi avoir besoin de recevoir ces mots.
Ce texte est vraiment très bien
Il permet de voir coucher sur papier toutes les inquiétudes que tu as, et toutes celles que des malades chroniques peuvent avoir.
Il permet de se rendre compte dans quel état de précarité, tant sur le plan physique qu’émotionnel cela vous met.
Et d’aider vos proches (pour les moins butés) à comprendre comment vous aider.
Continue comme ça. Ce blog est super ;).
Merci pour ton commentaire!
Je pense que ce texte peut être utile aux proches en effet, car ces doutes et ces peurs, nous les exprimons rarement réellement, alors que c’est très souvent quelque part, dans notre tête, au quotidien…
Et s’il y a bien quelque chose de vrai, c’est que tu as fait des progrès ENORMES depuis ton diagnostic. Et puis comme tu le dis en coups de vent : tu affrontes des situations que certains ne connaîtrons jamais, surtout de l’administratif (si ça c’est pas une preuve de vaillance !).
C’est tellement dommage que certains ne s’en rendent juste pas compte…
Très bel article mon général 🎖️
Ce texte, c’est toute ma pensée face à toi. J’espère avoir réussi à te le dire au fur et à mesure que l’on s’est cotoyées. Et si ce n’est pas le cas, que tu ne l’as jamais reçu de ma part, je suis heureuse que tu aies pu l’écrire pour toi-même, car c’est une parole d’amour très bienveillante. Garde la s’il te plaît bien précieusement. Peut-être pour pouvoir la relire. Je suis tellement heureuse que tu en aies déjà été à te dire ces mots. C’est vrai, tu as tellement parcouru de chemin, déjà.
On t’aime fort.