Hier, j’étais très fatiguée.
Après plusieurs heures à sortir du lit, en voulant aller me chercher un truc à avaler vite fait dans le frigo avant de me recoucher, je suis tombée sur la barquette de champignons de Paris que je m’étais achetée, pour faire mon fameux riz aux champignons à la crème végétale. C’est que, depuis quelques mois, j’ai progressé dans la gestion de mon temps et de mon énergie, et il m’arrive plusieurs fois par semaine de cuisiner avec des produits frais, et de ne plus me nourrir uniquement de boites de conserves ou de surgelés tout-prêt. C’est une petite victoire, à plusieurs niveaux.
Mais dans les jours difficile, cuisiner reste très pénible. Pourtant, mes champignons tout frais n’allaient pas se garder 24 heures de plus….
Je me suis dit « courage », et j’ai déroulé chaque tâche à faire dans mon esprit. Faire cuire le riz, mettre l’huile à chauffer dans la poêle, couper les champignons, les mettre dans la poêle. Attendre que ça cuise, verser la crème de soja, et ajouter le reste de mon assaisonnement. Je l’ai répété plusieurs fois, parce que je n’arrivais pas à vraiment réfléchir, à vraiment comprendre et me coordonner.
Je sais que ça semble bizarre ou futile aux personnes qui ne souffrent pas de troubles cognitifs. C’est parce que vous n’avez même pas l’occasion de vous rendre compte que votre cerveau fait tout ça pour vous en permanence, en anticipant chaque mouvement suivant le précédant. Le cerveau est un ordinateur. Dans ces moments, le mien est un papier et un crayon. Comprenez que c’est plutôt long…
« Courage. Commence par le riz, la poêle, et couper les champignons. Merde, non, il faut les laver, avant. Laver les champignons, la poêle est dans le placard, et puis… et puis… » Ça a duré longtemps.
Et puis, j’ai lavé les champignons, sur des jambes molles. Et j’ai commencer à les couper, si lentement que l’huile commençait à chanter. « Mais secoue toi, merde… C’est quand même pas possible de galérer autant à préparer des champignons! ». Mes doigts tremblaient et glissaient. J’avais peur de me couper avec mon petit couteau Victorinox bien aiguisé. Un champignon après l’autre… Avec acharnement. Tant pis pour la poêle chaude: j’ai baissé le feu et continué tant bien que mal à mon rythme. L’épuisement me faisait me sentir si faible. Et il me faisait paraitre cet objectif si grand. Si grand…
Alors je me suis dit que si j’y arrivais, même si il était possible que je sois trop fatiguée pour manger ce que j’aurai préparé, au moins, je l’aurais fait. J’aurais une bonne plâtrée de riz à la crème pour le lendemain, et je pourrais aller me recoucher en étant satisfaite d’avoir fait quelque chose de difficile. De ne pas avoir gâché mes champignons. D’avoir été à la hauteur de ce rythme de vie, dans lequel je peux acheter des produits frais, et que j’ai mis si longtemps à atteindre.
Tout d’un coup, à force d’encouragements intérieurs, une pensée m’a traversée, pétrifiante, mais sincère: C’est vraiment ça, ma vie?
C’est ça, la seule hauteur accessible à mon ambition, maintenant? Couper des légumes? Comment ferais-je, alors, pour continuer à devenir qui je veux être? Comment fait on pour accomplir des choses, réaliser ses projets, ses rêves, comme écrire un blog, mettre sa musique sur internet, écrire une méthode de guitare? Est-ce que je me berce d’illusions en continuant à croire que j’y arriverai? Comment devenir quelqu’un? Comment font tous ces gens volontaires, ceux qui apportent une de leur création au monde, et dont j’ai toujours cru faire partie, mais qui aujourd’hui semblent si loin de moi, et qui sont, eux, en train de s’accomplir pendant que je m’épuise en encouragement pour couper des foutus champignons de Paris?
C’était une question terrible mais désarmante, sérieuse. J’ai réfléchi. En coupant mes champignons lentement, et sans me couper les doigts, et en m’étirant la nuque, j’ai réfléchi. J’ai cherché à comprendre.
Je l’ai déjà fait, et je le sais. La clef d’une réalisation c’est le chemin. De pensée, de travail, d’effort, de rêve. C’est un fil conducteur, une ligne directrice, que seule notre volonté étend, et elle doit l’étendre loin, aussi loin qu’on peut la voir, sans quoi le courage, méfiant et frileux, se met en grève. Ça, ok.
Mais voilà. Maintenant, il y a une lame, cruelle, qui coupe mon fil quand je met toute ma foi à le projeter au loin. Je le lance, je le fixe du regard, je le pousse par la pensé jusqu’à l’horizon, en me gonflant et me vidant tout en même temps de tout mon entrain. L’horizon est atteint, et enfin, je fais un pas. Deux, trois, je suis lancée!
Tac.
Fatigue.
Épuisement.
Incohérence.
Sommeil.
Alors le fil, tranché devant moi, s’évapore, comme un rêve. Mes yeux ne peuvent plus le voir, ils ne voient plus que l’horizon lointain, si lointain, sans rien qui le relie à moi. Le courage, pas fou, se range du coté des yeux. Du coté du corps, de la nécessité.
Du coté du sommeil. Le sommeil qui me hache la vie.
« Pourtant, il doit bien y avoir un moyen, une organisation, quelque chose que je pourrai faire à force de persévérance, peut-être… » Alors qu’au fond de mes pensées, ces minces perspectives se heurtaient à la réalité de mes difficultés quotidiennes, à la surface, la question continuait à se poser, nerveusement:
Comment réaliser mes projets et mes rêves, maintenant?
La réponse m’a saisie avant que je n’ai le temps de me la formuler, comme si quelqu’un me l’avait lancée depuis le placard à épices au dessus de ma tête, moqueuse et implacable:
« En tout cas, surement pas en coupant des champignons..! »
– – –
Il semble que, quand la réalité du handicap rattrape même nos petites victoires, elle donne comme un goût d’ironie aux plâtrées de champignons à la crème…
Cette fois je peux dire que je comprends cette amertume. Ca me laisse perplexe et triste, j’ai envie de t’envoyer du réconfort, ainsi qu’à tous ceux qui se sentent empêchés. Et aussi : même très lentement et par tous petits bouts, on peut accomplir de grandes choses.
Merci pour ton commentaire. Et merci de penser aux autres spoonies qui passent par ici et qui ressentent la même chose. Je sais qu’il y en a, et j’espère que ton commentaire les touchera aussi 🙂
Réaliser ses rêves ou couper des champignons…
Souviens toi qu’il y a 1 an tu ne pouvais faire ni l’un ni l’autre , et encore moins il y a 2 ans . Alors si aujourd’hui tu ne peux pas realiser tes rêves, tu vas dans le bon sens , et je ne doute pas que bientôt tu pourras faire les deux en même temps: réaliser tes rêves en mangeant des champignons cuisinés . La force est en toi , et sans t’en rendre compte tu es un modèle de volonté et de courage pour beaucoup d’entre-nous et un jour nous danserons tous sur ta musique
Et puis tes champignons à la crème , c’est une tuerie
Oh mais <3
Merci beaucoup. J'espère... J'espère que petit à petit, derrière chaque obstacle surmonté, il y aura quelques cuillères à grappiller pour faire des choses un peu plus grandes.
Merci. Pour les encouragements et les compliments sur la cuisine (je ne vais pas nier que cette recette déchire) !